Malville-Sivens. Le même drame, aussi lamentable. Une tribune de Paul Michalon.
« Libération » publie une tribune de Paul Michalon, enseignant, frère de Vital, tué en 1977 à Creys-Malville par une grenade offensive lors d’une mobilisation écologiste.
Malville-Sivens… on recommence. Je me souviens de cette immense procession sous une pluie morne, des cirés multicolores, et, malgré tout, de cet élan qui nous portait vers le site comme un des grands buts de notre jeunesse. Je me souviens de l’hélicoptère blanc du préfet Jannin qui tournoyait, surveillant tout, recevant et donnant certainement des ordres. Je me souviens du pré auquel les premiers milliers de marcheurs ont accédé, les autres restant bloqués sur d’étroits chemins, résultat d’une habile stratégie militaire…
Je me souviens des quelques excités, peu nombreux en vérité, tenant le devant de la scène au bas du pré. Et rapidement les tirs de grenades à cadence rapide, au bruit, au souffle ou aux gaz insupportables. Puis les fusils passant à l’horizontal. Je me souviens de Manfred Schultz, main arrachée par un de ces projectiles qu’il avait eu l’imprudence de vouloir relancer, puis de Michel Grandjean, transporté en hâte, hurlant avec son pied déchiqueté. Et du brigadier Touzeau, avant-bras explosé par la grenade qu’il allait nous envoyer – mais qu’il avait tardé à lancer. Et bien sûr, je me souviens de mon cher frère Vital, perdu de vue dans le brouillard des lacrymogènes et dont j’ai dû peu après reconnaître le corps à la mairie de Morestel.
Mutisme. Je me souviens que l’on ne nous a jamais rendu le ciré qu’il portait, que l’autopsie a conclu à une « explosion » sans plus s’avancer, et le procès à un « non-lieu » ; de l’énorme scandale qui s’ensuivit, du quasi-mutisme du gouvernement – celui-ci chargeant le médiateur de la République de prononcer quelques mots de condoléances – ; et même de l’incroyable déploiement policier lors des funérailles de notre frère, comme si « l’ennemi de l’intérieur » – voire celui de l’étranger, Jannin tonnant contre les manifestants « boches » revenant occuper la région, mais si ! – était encore à craindre.
Et puis je me souviens des socialistes montant au créneau, l’occasion étant trop belle d’envoyer des bonnes salves au pouvoir giscardien… mais refusant de s’associer à nous, la famille, pour demander une loi interdisant l’usage d’armes de guerre (dont les grenades offensives) contre une manifestation – on ne sait jamais… C’était il y a bien longtemps, trente-sept ans, à Creys-Malville.
Ignorance. Aujourd’hui, sur le site de Sivens, le même drame se reproduit à l’identique, tout aussi lamentable. Je ne connais pas Rémi Fraisse mais imagine très bien ce que sa famille ressent, et dont nous nous sentons soudain si proches. Voilà où mène l’ignorance, voire le mépris, au plus haut niveau, des questions environnementales et de l’indispensable réflexion de fond, collective et démocratique, qu’elles imposent chaque jour davantage. Les citoyens moyens sont beaucoup plus en avance que leurs élus ! Voilà où mènent les vieux réflexes de « maintien de l’ordre » par la violence d’Etat, et la mise en branle de matériel de guerre contre des manifestants – fussent-ils agités. Voilà où mène l’obsession de la conquête du pouvoir sans vraie réflexion sur ce que l’on en fera. Froncer les sourcils, faire de viriles déclarations et envoyer la troupe n’est toujours pas une politique.
Et quel beau message à destination de « la jeunesse, priorité du quinquennat » ! Depuis Malville et d’autres drames similaires, les « socialistes » n’ont rien appris, rien compris, confirmant l’adage désabusé des historiens : « La seule chose que l’Histoire nous apprend, c’est qu’elle ne nous apprend rien. »
Lire aussi :
Chronique des luttes antinucléaires. Il y a 30 ans, Malville. Souvenons nous de Vital Michalon.
Les affiches d’appel à la manifestation : manifestation pacifiste !
La une de Libé après la mort de vital Michalon.
________________________________________________________________________________________________________________________________
Lire aussi :
Chronique des luttes antinucléaires. Il y a 30 ans, Malville. Souvenons nous de Vital Michalon.
Voir aussi la vidéo de l’INA :
Amalgames, contrevérités… plus de trente ans plus tard, les commentaires des présentateurs n’ont pas changé de tonalité.
________________________________________________________________________________________________________________________________
Affaires sensibles, l’émission du jeudi 6 novembre 2014
Vital Michalon mort pour ses idées – Creys-Malville 1977
Aujourd’hui dans Affaires Sensibles la lutte contre la centrale de Creys-Malville et le drame du 31 juillet 1977.
Ce jour-là et pour la première fois en France, un manifestant meurt lors d’une manifestation écologique. Il s’appelait Vital Michalon. Son nom est revenu dans nos mémoires et dans les lignes de nos journaux depuis quelques jours avec la mort d’un autre militant, Rémi Fraisse, contre un autre projet : le barrage de Sivens.
Creys-Malville, des bribes de souvenirs, fragments d’un passé où la lutte écologiste existait déjà mais sans la caution d’aujourd’hui, sans la prise de conscience de la nécessaire protection de l’environnement qui s’est organisée et qui a réussi à infiltrer toutes les couches de la société et tous les secteurs d’activité. Autour de Creys-Malville, c’était un combat contre un nouveau type de centrale nucléaire, au nom grandiloquent de Superphénix… un surgénérateur. La lutte fut longue, pugnace, imaginative, couronnée de succès pour ceux qui l’ont menée mais entachée d’un drame qui restera longtemps dans les mémoires des militants écologistes.
Retour aujourd’hui sur cette marche du 31 juillet 1977, avec pour témoin, notre invité : François Simon, élu Europe Ecologie Les Verts au Conseil régional Midi-Pyrénées, il a participé au mouvement de 1977, il est à Sivens aujourd’hui.
►►► Reportage à Toulouse lors de la manifestation, le 1er novembre, en hommage à Rémi Fraisse et contre le barrage de Sivens. Notre reporter Gaylord Van Wymeersch a rencontré les manifestants, notamment Gérard Onesta, élu Europe Ecologie Les Verts.
Aller plus loin
Une émission à suivre, commenter et partager sur Facebook.
________________________________________________________________________________________________________________________________
Sivens : la faute des gendarmes, le mensonge de l’Etat
L’État l’a su immédiatement et l’a caché : c’est bien une grenade offensive qui a tué sur le coup dans la nuit du 25 au 26 octobre Rémi Fraisse. D’après les premiers éléments de l’enquête et des témoignages de gendarmes mobiles, une longue chaîne de responsabilités a abouti à la mort de l’étudiant écologiste. Le gouvernement a tenté durant quarante-huit heures de brouiller les pistes.
________________________________________________________________________________________________________________________________