Paul Tréguer. « L’île de Sein est menacée de submersion »

Par , 24 octobre 2015 11 h 22 min

Un article intéressant dans le télégramme du 24 octobre 2015.

Paul Tréguer, océanographe, y explique que pour lutter contre le réchauffement climatique, ” il faudrait limiter l’émission de gaz à effet de serre, mener un plan d’énergies renouvelables, s’engager dans les plans d’isolation des logements et favoriser des transports plus réalistes et donc moins producteurs de CO2″.

Un programme que nous ne pouvons qu’approuver, cependant, la question qui s’imposait en toute logique et que le journaliste auteur de l’article a “oublié” de lui poser est : “Que pensez vous, dans ce cas, du projet de centrale électrique à gaz à Landivisiau ? ”

On aurait aimé entendre la réponse de Paul Tréguer qui, au moment de la lutte de Plogoff, était l’un des principaux rédacteurs du “projet alter breton” qui programmait pour 2015, et de façon très réaliste, une Bretagne “sans pétrole et sans nucléaire”.

L’article, pour autant, mérite la lecture. Dans les propos repris en titre, Paul Tréguer ose enfin y énoncer clairement ce que personne ne semble vouloir accepter de voir : il n’y a pas que dans le Pacifique que des îles risquent d’être submergées !

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Professeur émérite à l’Université de Bretagne occidentale (UBO), l’océanographe Paul Tréguer est membre de l’Académie européenne des sciences, laquelle organise, mardi et mercredi, à Brest, un symposium autour du changement climatique, une manifestation en lien avec la Cop 21.

Pourquoi organiser un symposium sur « Les impacts du changement climatique sur l’océan, l’économie, la production de nourriture, la santé humaine et les traités internationaux » ?

Tous les ans, l’Académie européenne organise un événement. Cette année, et dans la perspective de la Conférence mondiale de Paris sur le climat (Cop 21), nous avons décidé de programmer un symposium sur les impacts du changement climatique. Et la ville de Brest a été retenue, en raison de la compétence internationalement reconnue des partenaires scientifiques brestois et de l’engagement financier et humain de l’UBO. Le symposium est labellisé Cop 21.


Le réchauffement de la planète a-t-il des conséquences sur les océans ?

Il faut savoir que l’océan est le premier régulateur du climat de la planète terre. Quand le climat est déréglé, on assiste à des impacts directs sur le fonctionnement de l’océan et de l’écosystème marin. Si l’océan se réchauffe, on constatera une réduction des ressources nutritives des couches de surface, du phytoplancton et donc du poisson. D’autre part, et d’ici la fin du siècle, il y a un risque de ralentissement du Gulf Stream si les émissions de gaz à effet de serre continuent au rythme actuel. Et si Le Gulf Stream ralentit, on risque de connaître une modification importante du climat de l’Europe occidentale, dont, bien sûr, la Bretagne.

Des espèces de poissons sont-elles menacées ?

Oui, bien sûr. Dans l’Atlantique-Nord, prenez l’exemple du cabillaud (ou morue). Le réchauffement général de la température a provoqué le déplacement de copépodes, ces petits crustacés planctoniques dont se nourrissent les larves de cabillaud. Comme les larves se déplacent au gré des courants, il y a une remontée vers le nord. Et là, les larves de cabillaud n’ont plus trouvé leur nourriture favorite. Conséquence : la production de larves s’est effondrée. La baisse de la population de cabillauds est donc due, non seulement à la surexploitation, mais aussi au réchauffement climatique.

Des scientifiques sont formels : avec la montée des eaux, causée par le changement climatique, la Bretagne pourrait devenir une île dans 5.000 ans. Qu’en pensez-vous ?

Aucune prédiction sérieuse du genre ne peut être faite. Il est impossible d’établir un tel scénario à 5.000 ans. D’ailleurs, je ne pense pas que ce soit réaliste. En revanche, nous pouvons parler de ce qui s’est passé, il y a 20.000 ans, au maximum glaciaire, où le niveau des eaux était de 100 à 120 m plus bas qu’aujourd’hui. Une époque où Ouessant n’était pas une île et où on pouvait y aller à pied. Ce que l’on sait, aujourd’hui, c’est qu’à l’échelle de quelques décennies, on peut prédire la montée générale du niveau des eaux. C’est ainsi que l’île de Sein est menacée de submersion, d’ici la fin du siècle, si on continue le régime actuel de réchauffement. [——–][/——–]

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Paul Tréguer : “l’île de Sein est menacée de submersion, d’ici la fin du siècle, si on continue le régime actuel de réchauffement”

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Lors de la Cop 21, pensez-vous que les 195 pays participants trouveront un accord et s’engageront à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre en vue de limiter le réchauffement en dessous de deux degrés ?

La Cop 21 demeure une étape importante mais vous dire qu’elle aboutira à des mesures qui seront parfaites, je ne le crois pas. Il faut donc mener des actions sur deux lignes différentes, dont l’une, auprès des gouvernements et ce, même si des lobbies sont derrière pour empêcher une mesure qui défavorisait les activités traditionnelles comme la production d’énergie par les centrales à charbon, le transport… Il faut aussi que les citoyens se mobilisent pour peser sur l’action des gouvernements en vue d’aller dans le bon sens. En fait, je ne fais pas partie de ceux qui croient qu’une signature ou qu’une réunion internationale va sauver la planète. C’est plutôt une action continue des gouvernements et un changement des comportements des citoyens qui pourront le faire.

Si vous étiez ministre de l’Environnement, quelle serait votre première mesure ?

Je ne suis pas ministre de l’Environnement. Je ne suis donc pas soumis aux lobbies. C’est toute la différence entre un ministre et un scientifique. Cependant, il faudrait limiter l’émission de gaz à effet de serre, mener un plan d’énergies renouvelables, s’engager dans les plans d’isolation des logements et favoriser des transports plus réalistes et donc moins producteurs de CO2.

Trouvez-vous normal que l’on ait supprimé la ligne maritime Saint-Nazaire ? Gijon, en septembre 2014, car elle n’était pas rentable ?

C’est tout le problème qui existe entre les intérêts financiers et ce que souhaitent les citoyens et les scientifiques. C’est dommage, car le transport par la mer est nettement moins polluant que par la route. Mais le système économique a ses propres lois.

Lundi, le gouvernement a annoncé un plan pour relancer le fret fluvial. Vous y croyez ?

Oui, j’y crois. C’est une excellente initiative car elle va dans le bon sens. C’est un transport très peu énergétique, par rapport aux camions et autres véhicules.

Les projets de parc éoliens offshore sont-ils une solution ou de la poudre aux yeux ?

Si on veut moins de gaz à effet de serre, on n’a pas d’autre choix que de s’équiper avec ce type de système. C’est une voie dans laquelle plusieurs pays se sont déjà lancés, il y a bien longtemps : la Grande-Bretagne, la Norvège, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne…

Quelle conclusion allez-vous tirer du symposium ?

Tout d’abord, une déclaration de Brest. Une disposition va être votée. En substance, elle s’articulera sur trois points : 1/L’influence de l’homme sur le système climatique est devenue incontestable. 2/L’accélération du changement climatique va conforter la probabilité d’un impact grave sur le système naturel et sur les ressources exploitées par l’homme. 3/Il y a une nécessité impérieuse de s’accorder au niveau mondial, sur des objectifs ambitieux en vue d’atténuer le changement climatique et de prendre des mesures appropriées.

Pratique

Symposium mardi et mercredi, au Quartz à Brest. Entrée libre. Inscriptions au préalable au 02.98.33.52.73 ou 02.98.33.54.40.

Le Télégramme
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C’était en 1980. Paul Tréguer et le projet alter breton.

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Extrait de “Plogoff, un combat pour demain” :

“Se passer du nucléaire et même du pétrole sans revenir à la bougie, telle est la proposition du plan “Alter” breton rendu public à quelques jours du début de l’enquête d’utilité publique. Le projet, initié à l’échelle de toute la France par le “groupe de Bellevue” (un groupe de chercheurs pluridisciplinaires et de militants proches du PSU), comprend autant de volets qu’il y a de régions.

Celui qui concerne la Bretagne est le premier à être publié. Lors de sa présentation, à Audierne le 6 janvier1980, Paul Tréguer chercheur au CNEXO et Annie Le Gall, ingénieur agronome le présentent comme un “message d’espoir pour tous ceux qui craignent l’avènement du nucléaire”. L’équipe de rédacteurs regroupe des chercheurs de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), de l’institut d’études marines (IEM), du Centre national pour l’exploitation des océans (CNEXO), de l’Université de Bretagne occidentale (UBO).

” Il est temps décidément de tuer des mythes qui ont la vie dure”, annoncent ses auteurs en introduction, et en particulier celui du “modèle de développement industriel” qui apporterait le bonheur à l’humanité. Ce modèle de société “à l’américaine”, transforme l’ensemble des secteurs de l’économie pour réaliser un objectif : la croissance par la production massive de biens industriels. On produit et on vend n’importe quoi pourvu que ça rapporte. Qu’importe si les matières s’épuisent, si certaines régions sont véritablement laminées par ce rouleau compresseur…”

Pour apporter à la Bretagne l’énergie dont elle a besoin, ils ont exploré quatre voies principales : l’énergie marémotrice (13%), la biomasse (44%), les éoliennes (21%), le solaire (22%).

L’objectif n’est pas uniquement technique. Ce qui est “révolutionnaire” dans le projet ALTER, explique Paul Tréguer, “ce ne sont pas tant les éoliennes sur nos côtes ni les chauffe-eau solaires sur nos toits, mais bien le projet de société que ces techniques sous-entendent”. Une société capable de satisfaire à ses besoins tout en stabilisant sa consommation. Une société qui ne fasse pas de la consommation de biens périssables un critère de réussite sociale. Une société qui s’affirme solidaire de tous les peuples du monde.

Un projet “ALTER-mondialiste” en quelque sorte.”

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