Michel Onfray à Huelgoat. Une parole libre.

Par , 4 septembre 2016 15 h 05 min

Un article du télégramme.

Onfray
Philosophe ancré dans son époque, fidèle à une gauche anti-libérale, Michel Onfray est un homme libre. Les réactions passionnelles suscitées par ses analyses post-attentats ne le font pas dévier de son chemin. Pour parler au plus grand nombre, il créé sa web TV.

> Vous êtes ce samedi l’invité de l’Ecole des filles de Huelgoat (29). Quel va être le thème de votre intervention ?

Huelgoat est un lieu marqué par le poète Victor Segalen qui y est mort. Je rentre d’un voyage aux Marquises sur ses traces. Je vais donc parler de son œuvre et plus particulièrement de sa réflexion sur la façon dont les civilisations disparaissent. Lui qui a réfléchi à cette question à partir de la civilisation maorie nous permet de réfléchir sur le destin de la nôtre…

> L’idée de vous retrouver dans un ancien pensionnat – vous avez vécu l’expérience et n’en gardez pas un bon souvenir – vous inspire quoi en cette période de rentrée scolaire ?

Il existe un remarquable Propos d’Alain qui est la clé de tout ce que je suis : il s’intitule «L’odeur du réfectoire». Alain, qui a lui aussi connu la souffrance du pensionnat, explique que quiconque a connu ce genre d’expérience devient un rebelle pour la vie et se comporte comme un âne impossible à atteler… La proximité de la rentrée scolaire, je l’ai longtemps vécue comme élève, puis une vingtaine d’années comme professeur. Aujourd’hui, alors que j’ai démissionné de l’Éducation nationale en 2002, c’est un réel plaisir de voir arriver un déplaisir auquel on échappe !

> Quelle est la place du philosophe dans la cité du XXIe siècle ?
Le philosophe n’existe pas, il existe des philosophes. Certains se font payer très cher par des laboratoires de pharmacie des conférences où ils enfilent des perles mondaines en citant Spinoza ou Hegel; d’autres distribuent leur savoir lors de croisières, semble-t-il, très bien payées ou dans des principautés pour amuser des princesses; d’autres invitent des chefs d’État à bombarder des populations innocentes au nom des droits de l’homme; d’autres encore s’étranglent quand on leur fait savoir que ceci explique peut-être cela. Comme vous voyez, tout est possible…


> Vous aimez justement expliquer qu’un philosophe ne doit pas penser en dehors de la réalité de son époque. En intervenant après les attentats commis par Daesh et en déclarant que « droite et gauche avaient semé la guerre contre l’Islam politique », vous vous êtes retrouvé au cœur de violentes polémiques. Vous le regrettez ?

D’abord je n’ai jamais dit ça, c’est ce que les journalistes qui, eux, aiment la polémique, m’ont fait dire. Ensuite, j’ai fait mon travail en posant la question que tout philosophe devrait poser: d’où vient le terrorisme? Soigner une maladie suppose qu’on en connaisse d’abord la cause. Certains renvoient à la mauvaiseté congénitale des terroristes, au caractère intrinsèquement violent de l’Islam: on n’est guère avancés! Pour ma part, je mets ce terrorisme comme partiellement en relation avec notre politique étrangère indexée depuis 1991 sur celle des États-Unis qui bombardent des pays musulmans et ont fait 4millions de morts, musulmans, depuis cette date. L’Islande est-elle attaquée ? Et la Suisse ? Et le Portugal ? Et l’Irlande ? Étonnant, non ?

> Votre athéisme vous amène-t-il à penser que les religions, quelles qu’elles soient, sont source de fanatisme et de déséquilibre ?

L’athée que je suis ne croit pas que l’athéisme soit plus une garantie contre la barbarie que la religion. Il y a des athées barbares, Lénine, Staline, Mao, et des croyants qui font avancer la civilisation, Montaigne, François d’Assise, Bach, Michel-Ange par exemple.

> Vous dénoncez la débilité de certaines émissions télé – je pense à vos déclarations concernant Cyril Hanouna – qui contribuent, selon vous, à une radicalisation des jeunes. Est-ce à dire que le manque d’instruction contribue au fanatisme et au terrorisme ?

Les médias de masse ont transformé le peuple qui, jadis, était éduqué par l’école laïque, gratuite et obligatoire, en populace abrutie à coup d’émissions consternantes. Ce qui fait que ces décérébrés peuvent, en effet, tout aussi bien croire qu’en écrasant un enfant dans sa poussette, on va directement au paradis où les attendent des vierges ou bien, disons, que le terrorisme ici n’a rien à voir avec ce que fait l’Occident dans les pays de l’Umma – la communauté musulmane !

> Vos échanges, vos participations à certains talk-shows, vos déclarations sur les réseaux sociaux ne contribuent elle pas à transformer l’intellectuel en simple polémiste ? Et à vous rendre finalement moins audible ?

Tout dépend des questions qu’on me pose… Mais les médias de masse ne veulent pas le débat, l’analyse, la réflexion, ils souhaitent la polémique, l’agressivité, la méchanceté qui sont les meilleurs ingrédients pour produire l’audimat qui permet aux animateurs d’être reconduits dans leurs émissions et augmentés la saison suivante. Voilà pourquoi je crée ma web-TV en septembre…

> Quel va être son contenu et quel sera votre rôle ?

Elle va s’appeler michelonfray.com. Je l’ai voulue comme l’occasion de faire entendre la voix de mes compagnons de l’Université Populaire qui y enseignent bénévolement! Il y a donc eu une dizaine années de tournages amateurs de ces cours-là, qui vont être mis en ligne pour sa partie gratuite. Puis il y aura également mes cours, ceux, anciens, de «La Contre-histoire de la philosophie», mais aussi ceux, récents, de «La Brève Encyclopédie du monde». Enfin, il y aura une partie dans laquelle j’interviendrai pour commenter l’actualité sur des sujets de mon choix, avec des formats de mon choix. Nous travaillons avec une maison de production parisienne qui assure la partie technique. Ce qui m’oblige à en faire un média en partie payant – 4 ¤ par mois ou 40 euros pour l’année.

> Comment s’adresser et intéresser les gens qui n’ont pas eu la chance d’accéder à la connaissance ?

Simplement, avec les mots qu’utilisaient Lucrèce et Marc-Aurèle dans l’Antiquité et qui sont ceux qu’utilisaient les enfants que formait la République au temps où elle enseignait ce qu’on appelait alors les humanités. En évitant aussi de prendre son auditoire de haut pour lui montrer qu’on sait et qu’il ne sait pas, autrement dit en n’humiliant pas celui qui s’est déplacé pour apprendre et non pour prendre une leçon.

> Vous avez été un militant de la gauche extrême et vous avouez aujourd’hui votre dédain «de toutes les classes politiques». Une forme de renoncement ?

Non… Gauche extrême, sûrement pas… J’ai soutenu, un temps, Besancenot quand il prétendait sortir la gauche extrême de son extrémisme afin, disait-il, d’en faire une dynamique mouvementiste, libertaire, féministe et écologiste. J’ai vite compris qu’il voulait juste repeindre la façade mais garder les mêmes produits avariés en magasin. Je suis resté fidèle à ma gauche, elle est antilibérale. Être fidèle à une gauche devenue infidèle n’est pas fidélité mais bêtise. Je n’ai renoncé à rien. Mais regardez autour de vous, à gauche, il est facile de voir depuis le virage libéral de 1983 qui a renoncé à être de gauche !

> Être libertaire en France en 2016, cela se traduit comment ?

En étant seul de son parti, en mettant en pratique ce qu’on enseigne, en se trouvant du côté du peuple, des petits, des sans-grades, des oubliés, en ne souscrivant pas à des idéologies liberticides, en croyant à l’éducation populaire, en ayant fait son deuil du grand soir (pour ma part, je n’y ai jamais cru…) pour lui préférer de modestes petits matins où l’on fait avancer lentement mais sûrement les idées auxquelles on croit. En ne tergiversant jamais sur la liberté et la justice.

> Vous avez déclaré, à propos des polémiques sur le burkini, que « nous étions en train de nous occuper des petites choses ». Quelle est, selon vous, vous la grande chose dont il faut s’occuper en priorité ?

Il faut s’attaquer aux causes de la maladie, pas à ses symptômes. C’est une leçon élémentaire en matière de médecine – de l’âme ou du corps, des individus ou des civilisations… Le burkini est un symptôme, comme le voile. Il faut moins s’intéresser à ce qu’il y a sur les têtes que dans les têtes. La répression contre un vêtement n’aura aucune autre incidence sur le cours des choses (dans cette guerre civile qui s’annonce) que d’augmenter l’animosité. Quand posera-ton la bonne question qui est : pourquoi en sommes nous arrivés-là ? Avant de pouvoir conclure à ce qu’il faut faire pour désamorcer autant que faire se peut cette guerre qui vient. Je persiste à penser qu’augmenter les bombardements sur l’Etat Islamique, (autrement dit sur les anciens territoires de l’Irak détruits par nos bonnes âmes qui se prétendent humanistes et de la Syrie) n’est pas la meilleure façon de tarir la source terroriste qui se trouve en France… La petite chose, c’est le burkini ; la grande, c’est une politique étrangère à refondre.

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