Publié au Journal Officiel du 14 août 2008, le “décret n° 2008-780 du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d’impayés des factures d’électricité, de gaz, de chaleur et d’eau” est une invitatiion à ficher les familles en difficulté.
La décision prise par le SIVU de Landerneau dans sa séance du lundi 15 mars, en limite la portée.
Il est arrivé que des maires s’opposent à la coupure de la fourniture d’eau dans leurs communes. Leurs décisions ont été régulièrement attaquées en justice à l’initiative des préfets, représentants de l’état. Il est arrivé aussi cependant que des juges administratifs leur donnent raison.
Est-ce la raison pour laquelle le décret relatif à la “procédure applicable en cas d’impayés de factures d’électricité, de gaz, de chaleur ou d’eau” a été publié le 13 août 2008, comme souvent, quand il s’agit des plus mauvais coups, pendant les congés d’été ?
Quand le “droit au logement” se transforme en “droit à couper l’eau”
Ce projet de décret a été initié par la direction de la demande et des marchés énergétiques (DIDEME), en liaison avec la direction de l’eau, la DGUHC (Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction) et la DGAS (direction générale de l’action sociale).
Il a fait, nous dit-on, “l’objet d’une large concertation préalable avec les collectivités territoriales (AMF-Association des Maires de France, ADF-Assemblée des épartements de France), mais aussi avec l’Union nationale des Centres communaux d’action sociale (UNCCAS) et les fournisseurs d’énergie et d’eau (FP2E-Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau, et FNCCR-Fédération nationale des collectivités concédantes et régies)”.
Sous couvert de proposer une “procédure” commune pour les coupures d’électricité, de gaz, de chaleur ou d’eau, on autorise les coupures d’eau qui restent interdites pour l’électricité et le chauffage.
Mais, à ce stade, une question se pose : quel lien existe-t-il entre les services d’eau qui sont de la responsabilité directe et totale des maires et ceux de l’électricité, du gaz et de la chaleur qui leur échappent pour l’essentiel ?
Il n’échappera à personne que ce lien s’appelle EDF, GDF-Suez, Véolia-environnement, Suez-environnement, SAUR et compagnie… qui prétendent occuper tout le terrain des “services au public”.
Ce décret qui fixe le “droit à la coupure” de l’eau… nous arrive étrangement comme une retombée de la loi relative au “droit opposable au logement”.
Ne pas se tromper, donc : droit au logement ne veut pas dire droit à l’eau, au gaz, à l’électricité, au chauffage !
Le décret précise le contexte :
L’article L115-3 du code de l’action sociale et des familles, modifié par l’article 75 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement et par l’article 36 de la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 relative au droit opposable au logement dispose que :
Du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l’année suivante, les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles mentionnées au premier alinéa et bénéficiant ou ayant bénéficié, dans les douze derniers mois, d’une décision favorable d’attribution d’une aide du fonds de solidarité pour le logement. Un décret définit les modalités d’application du présent alinéa. Ces dispositions s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année.
Lorsqu’un consommateur n’a pas procédé au paiement de sa facture, le fournisseur d’électricité, de chaleur, de gaz ou le distributeur d’eau l’avise par courrier du délai et des conditions, définis par décret, dans lesquels la fourniture peut être réduite ou suspendue à défaut de règlement.
Le décret, signé par La ministre du logement et de la ville, Christine Boutin, a donc pour objet de définir la façon dont on pourra couper l’eau aux familles en difficulté.
Une mécanique à la Kafka
Chacun sait qu’une famille en grandes difficultés a mieux à faire que de se lancer dans une série de démarches administratives. Pourtant elle doit se préparer à un rude parcours.
1er courrier de relance en cas de non paiement d’une facture :
article 1 : Il concerne le consommateur ordinaire . Le courrier doit avoir lieu 14 jours après l’émission de la facture ou à la date limite de paiement quand cette date est postérieure. Le courrier doit mentionner le délai supplémentaire de 15 jours après lequel la fourniture pourra être suspendue en l’absence de paiement. Un mois de congé et on ne trouve plus d’eau au robinet à son retour !
article 2 : Cas de figure du consommateur bénéficiant d’un service social communal (ou intercommunal) ou ayant bénéficié d’une aide du fond de solidarité logement (FSL) : le courrier doit avoir lieu 14 jours après l’émission de la facture ou à la date limite de paiement quand cette date est postérieure. Le courrier doit mentionner le délai supplémentaire de 30 jours après lequel la fourniture pourra être suspendue (ou réduite) en l’absence de paiement. Le courrier doit mentionner que l’abonné peut saisir les services sociaux et que le fournisseur met à disposition les coordonnées des organismes en question. Le courrier doit mentionner que, sauf opposition dans les 8 jours, le fournisseur transmettra les informations nécessaires à l’examen de sa situation aux services sociaux.
2e courrier de relance en cas de non paiement d’une facture :
Si le 1er courrier n’est ni suivi du règlement ou d’un accord sur les modalités du paiement, ni d’une demande d’aide ou si le FSL a rejeté la demandé ou que le FSL n’a pas pu statuer dans le délai de 2 mois, le distributeur peut adresser au consommateur un 2ème courrier qui l’informe de la suspension (ou de la réduction) de la fourniture d’eau au moins 20 jours à l’avance.
Le fournisseur d’eau doit mentionner dans le 1er et le 2ème courrier aux personnes en situation d’impayé, qu’elles peuvent bénéficier du maintien de la fourniture d’eau si elles ont obtenu dans les 12 mois d’une aide du FSL.
Le “correspondant-solidarité-précarité” : Big Brother vous surveille
Face à un retard de facture, le fournisseur (Véolia, Suez, SAUR dans le cas de l’affermage ou le service communal) doit donc pouvoir choisir entre la formule de type article 1 ou celle de l’article 2 concernant le “consommateur bénéficiant d’un service social communal (ou intercommunal) ou ayant bénéficié d’une aide du fond de solidarité logement (FSL)”.
Ce qui signifie clairement qu’il doit avoir à sa disposition le fichier de toutes les familles recevant une aide sociale !
Le législateur a donc mis en place de dangereux instruments de fichage :
Article 11 : Chaque fournisseur doit créer un “correspondant-solidarité-précarité”
Chaque fournisseur d’électricité, de gaz, de chaleur ou d’eau approvisionnant des personnes physiques désigne un correspondant « solidarité-précarité » pour les relations avec les services sociaux du département, les services sociaux communaux ainsi qu’avec les associations de défense d’usagers ou de consommateurs qui en feront la demande. Le correspondant « solidarité-précarité » tient à la disposition des services sociaux du département et des services sociaux communaux les informations mentionnées au cinquième alinéa de l’article 2 relatives aux clients dont la fourniture est réduite ou suspendue. Le correspondant « solidarité-précarité » peut être commun à plusieurs départements et à plusieurs fournisseurs.
Ainsi EDF, GDF-Suez, Véolia pourraient disposer au travers de leur “correspondant-solidarité-précarité” du fichier des personnes en difficulté soutenues par les services sociaux. Ils pourraient même se transmettre les dossiers par l’entremise d’un correspondant commun !
Et ce n’est pas l’article 12 sur “l’obligation de confidentialité” qui va nous rassurer.
Article 12 : Toutes précautions utiles pour préserver la sécurité et la confidentialité des données sont prises en particulier à l’occasion de leur transmission. Les agents ou employés chargés de recueillir et exploiter ces données sont tenus à une obligation de confidentialité. La durée maximale de conservation des données nominatives de signalement, telles que décrites aux articles 2 et 9, est fixée à quatre mois à compter de leur réception par les destinataires.
Toutes précautions utiles, agents tenus à obligation de confidentialité, durée maximale de conservation des données… qui peut encore se laisser prendre à de telles vagues promesses. Existe-t-il encore en France une législation qui protège la vie privée des gens ?
Le décret à la réunion du SIVU
La réunion du SIVU de Landerneau avait à son ordre du jour la mise en oeuvre de ce décret. La délibération répondait à une demande du fermier (Veolia), de se voir confier la fonction de “correspondant-solidarité-précarité”.
Présent sur place, le représentant de SeauS que je suis, a demandé et obtenu une suspension de séance afin de pouvoir exposer la position de notre association :
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le refus de la constitution de deux catégories de citoyens au regard de la distribution d’eau et du fichage des plus démunis.
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le refus de la communication à une entreprise privée de la liste des personnes relevant des services sociaux.
Le président du SIVU ayant accepté de mettre la question en débat, une discussion intéressante s’en est suivie entre les conseillères et conseillers.
Finalement la proposition était faite de modifier la délibération et de confier la fonction de “correspondant-solidarité-précarité” à l’administration du SIVU pour une période d’essai de un an. Le vote était ensuite acquis à l’unanimité.
Une décision et une méthode de travail dont il faut relever la qualité.