De Plogoff à Landivisiau. Bien vivre en Bretagne sans pétrole, sans nucléaire et… sans gaz de schiste !
21 novembre 2017. Une table ronde s’est tenue à Brest à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO).
Tudi Kernalegenn, docteur en science politique, Martin Siloret, docteur en Histoire moderne et contemporaine et Denez L’Hostis, Président de l’association France Nature Environnement (FNE) y intervenaient sur “l’histoire des luttes environnementales en Bretagne.”
On y a parlé de Plogoff, du Projet Alter Breton, mais aussi, dans le débat, de Landivisiau.
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Luttes du passé en Bretagne ? Les intervenants ne pouvaient manquer de rappeler la lutte contre l’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff. Une lutte exemplaire qui a été la “mère de toutes les luttes” qui se sont ensuite succédé en Bretagne.
Plusieurs fois évoqué : l’alternative au nucléaire et le Projet Alter Breton. Un programme pour “Bien vivre en Bretagne, sans pétrole et sans nucléaire” publié en janvier 1980, juste avant le début de l’enquête publique et de l’occupation de Plogoff par les forces de “l’ordre”.
L’un de ses rédacteurs, Paul Tréguer, océanographe brestois membre de l’Académie Européenne des Sciences, était présent dans la salle. Il en a rappelé la philosophie telle que nous la présentions dans la conclusion de ce texte extrait de “Plogoff, un combat pour demain” :
“Se passer du nucléaire et même du pétrole sans revenir à la bougie, telle est la proposition du plan “Alter” breton rendu public à quelques jours du début de l’enquête d’utilité publique. Le projet, initié à l’échelle de toute la France par le “groupe de Bellevue” (un groupe de chercheurs pluridisciplinaires et de militants proches du PSU), comprend autant de volets qu’il y a de régions.
Celui qui concerne la Bretagne est le premier à être publié. Lors de sa présentation, à Audierne le 6 janvier1980, Paul Tréguer chercheur au CNEXO et Annie Le Gall, ingénieur agronome le présentent comme un “message d’espoir pour tous ceux qui craignent l’avènement du nucléaire”. L’équipe de rédacteurs regroupe des chercheurs de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), de l’institut d’études marines (IEM), du Centre national pour l’exploitation des océans (CNEXO), de l’Université de Bretagne occidentale (UBO).
” Il est temps décidément de tuer des mythes qui ont la vie dure”, annoncent ses auteurs en introduction, et en particulier celui du “modèle de développement industriel” qui apporterait le bonheur à l’humanité. Ce modèle de société “à l’américaine”, transforme l’ensemble des secteurs de l’économie pour réaliser un objectif : la croissance par la production massive de biens industriels. On produit et on vend n’importe quoi pourvu que ça rapporte. Qu’importe si les matières s’épuisent, si certaines régions sont véritablement laminées par ce rouleau compresseur…”
Pour apporter à la Bretagne l’énergie dont elle a besoin, ils ont exploré quatre voies principales : l’énergie marémotrice (13%), la biomasse (44%), les éoliennes (21%), le solaire (22%).
L’objectif n’est pas uniquement technique. Ce qui est “révolutionnaire” dans le projet ALTER, explique Paul Tréguer, “ce ne sont pas tant les éoliennes sur nos côtes ni les chauffe-eau solaires sur nos toits, mais bien le projet de société que ces techniques sous-entendent”. Une société capable de satisfaire à ses besoins tout en stabilisant sa consommation. Une société qui ne fasse pas de la consommation de biens périssables un critère de réussite sociale. Une société qui s’affirme solidaire de tous les peuples du monde“.
35 ans plus tard Paul Tréguer faisait le constat que le message aurait mérité d’être entendu.
“Ce que l’on sait, aujourd’hui, c’est qu’à l’échelle de quelques décennies, on peut prédire la montée générale du niveau des eaux. C’est ainsi que l’île de Sein est menacée de submersion, d’ici la fin du siècle, si on continue le régime actuel de réchauffement”déclarait-il dans un article au journal Le Télégramme
A la menace nucléaire est venue s’ajouter celle du dérèglement climatique généré par la combustion des énergies fossiles. En 1980 le pétrole était le combustible dont on avait surtout constaté les dégâts provoqués par les naufrages des pétroliers sur nos côtes. Aujourd’hui c’est la mer elle même qui menace de submerger îles et rivages.
Quant au pétrole il est aujourd’hui concurrencé par le gaz fossile, en particulier ce gaz de schiste, dont l’exploitation est interdite en France, mais dont l’importation semble devoir faire les beaux jours des lobbies gaziers.
De Plogoff à Landivisiau : des analogies
A l’écoute de ces rappels des analogies apparaissent à l’évidence entre la “saga de la centrale nucléaire baladeuse” et la “saga des centrales à gaz” en Bretagne.
Avant Plogoff il y avait eu Erdeven et une première mobilisation dans cette zone vouée au tourisme qui avait fait renoncer au projet. Puis ce fut Ploumoguer où de jeunes “paysans travailleurs” ont su mobiliser autour d’eux et trouver un lien immédiat avec la jeunesse de la région brestoise avec à la clef des manifestations aussi massives que festives. Trop dangereux ont dit les élus de la droite locale. Et donc, loin de toute agglomération et peuplée d’une population vieillissante dont les actifs étaient plus souvent en mer qu’à terre, ce fut Plogoff.
Un extrait du mémoire déposé à l’enquête publique par le GSIEN (Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire) illustre assez bien la situation :
“Le choix de Plogoff.
Besoins énergétiques de la Bretagne. Pour les besoins de la cause, EDF réduit la Bretagne aux quatre départements de base. Ceci permet de développer une argumentation éliminant le complexe producteur de la Basse Loire et de culpabiliser les Bretons en leur faisant croire qu’ils consomment l’énergie des Français sans contrepartie.
En réalité, le grand Ouest est jusqu’à présent excédentaire en énergie. Cet excédent est utilisé pour combler le déficit de la région parisienne.
Si l’on voulait poursuivre jusqu’au bout ce raisonnement, on en arriverait à la conclusion que l’agglomération parisienne, très largement déficitaire en énergie, doit recevoir la quasi-totalité des installations nucléaires françaises.
A la réflexion, l’installation d’une centrale nucléaire dans le trou des Halles n’est pas plus absurde que l’implantation d’un complexe nucléaire à la Pointe du Raz et à la Pointe du Van (projet d’un centre de retraitement).
Sur le plan de l’économie régionale, EDF a toujours affirmé que la production d’énergie d’origine nucléaire n’apporterait aucun soutien nouveau. L’installation d’une centrale à Plogoff n’a, à cet égard, aucune justification sérieuse sinon l’espoir de trouver des conditions locales humaines et politiques plus favorables qu’à proximité des villes, de leurs industries mais aussi de leurs mouvements sociaux.“
Avant Landivisiau il y a eu Ploufragan dans les Côtes d’Armor. Un centrale de 230Mw aussitôt contestée par les militants. Pas de ça chez nous ont rapidement considéré les élus de gauche et droite confondus. Et voilà que l’omnipotent président du Conseil Régional, Jean-Yves Le Drian, nous sort un projet de centrale de 450Mw à Guipavas. Mauvaise donne, trop près de Brest d’où manifestations massives et création de l’association GASPARE suivies d’une zizanie politique qui coûte son poste au maire de Guipavas favorable au projet. Trop dangereux ont constaté les élus socialistes et ce fut Landivisiau, commune peu réputée pour son caractère révolutionnaire et où la droite au pouvoir pouvait compter sur la complicité de son “opposition” socialiste.
Là aussi on continue à “culpabiliser les Bretons en leur faisant croire qu’ils consomment l’énergie des Français sans contrepartie”. Là aussi “aucune justification sérieuse sinon l’espoir de trouver des conditions locales humaines et politiques plus favorables”.
De Plogoff à Landivisiau : des différences.
Les temps ont changé. 1980 c’était aussi l’espoir d’une alternance politique, même si la déception a été rapide. C’était en Bretagne le renouveau des revendications culturelles (le début de Diwan) et régionalistes (Servat chantant la Blanche Hermine). C’était la prise de conscience accrue des problèmes environnementaux avec les marées noires (Mazoutés aujourd’hui, radioactifs demain) ou la pollution des rivières (Quand le poisson meurt, l’homme est menacé). A présent domine le constat d’une démocratie en panne, de partis et d’élu(e)s discrédité(e)s. Un désenchantement qui s’exprime dans une abstention massive et le repli sur soi.
Grosse différence : Plogoff c’était une opposition entre droite et gauche. Une droite qui voulait poursuivre la nucléarisation de la France initiée par Mesmer. En face, même si la position était ambiguë au niveau national, un parti socialiste local s’affichant contre la centrale et dont nombre de militant(e)s participaient aux mobilisations, la prise de position hostile au projet de Louis le Pensec pesant alors lourd dans la balance. Surtout après la défection du PC.
Au contraire, Landivisiau c’est la droite et les socialistes main dans la main. Un président de région qui s’affichait encore comme “socialiste” obtenant ce cadeau d’un ministre de Sarkozy.
Le Drian-Besson le “main dans la main” qui condamne Landivisiau.
Surtout : Plogoff c’était un maire courageux brûlant le dossier d’enquête devant sa mairie. Landivisiau c’est une municipalité qui réclamait la centrale, accompagnée par son “opposition” socialiste. Une municipalité mettant tous les obstacles possibles devant l’action des opposants.
Malgré ces difficultés, Landivisiau ce sont aussi des opposantes et opposants actifs qui depuis cinq ans ont fait reculer le projet et qui, comme à Plogoff, sont bien décidés à obtenir son retrait.
Ce sont aussi des propositions alternatives pour utiliser utilement les 45 millions d’euros annuels promis à Direct Energie. Pour isoler les habitations, pour développer les énergies renouvelables et économiser l’énergie . Et surtout pour ne pas renforcer le réchauffement climatique en brûlant du gaz fossile dont on sait à présent qu’une partie sera du gaz de schiste importé des USA par Montoir de Bretagne.
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Rappel :
Du gaz de schiste pour Landivisiau : la solution de Gesper.
Dans une déclaration au Télégramme les animateurs des partisans de la centrale, regroupés dans l’association GESPER, Yvon Madec et Yves Edern, deux anciens ingénieurs spécialisés dans la production électrique qui, durant leur carrière, ont dirigé des centrales, sont clairs :
“Les opposants disent que le prix du gaz sera bien trop élevé dans quelques années. On n’en sait rien. Ont-ils pris en compte l’énorme potentiel que représente le gaz de schiste ?”